Modèle de l’abonnement

IBM avait autrefois bâti sa fortune sur les gros ordinateurs 3270. Microsoft lui a succédé comme roi de l’informatique en vendant du logiciel (MS DOS puis Office). Apple a pris le relais en réinventant le marketing des produits électroniques. Par la suite Google et Facebook ont innové en mêlant digital et publicité.

Une nouvelle catégorie d’entreprises émerge aujourd’hui, construites autour du modèle de l’abonnement. Salesforce, créé il y a une dizaine d’années pour vendre de l’informatique commerciale aux entreprises sur le cloud, connaît depuis lors une croissance effrénée. Netflix est la seule grande société technologique à continuer à progresser sur le Nasdaq depuis le début de l’année. Spotify et Dropbox viennent de s’introduire en bourse avec succès. Amazon a révélé que près de 70 % des ménages américains seraient abonnés à son service Prime.

Pourquoi une telle réussite ? Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère de consommation dans laquelle nous substituerions l’abonnement à l’achat ?

Le modèle de l’abonnement n’a pas été inventé par les entreprises digitales. La presse ou l’édition (France Loisirs) sont des pratiquants de longue date. Plus près de nous, Gillette ou Nestlé ont adopté un modèle comparable en bradant leurs rasoirs ou leurs cafetières pour mieux commercialiser leurs lames ou leurs dosettes.

L’histoire s’accélère sous l’effet de plusieurs facteurs.

La technologie tout d’abord. Salesforce est né avec le « cloud ». La possibilité de stocker à moindre coût l’information sur des batteries de serveurs a changé la donne informatique. Jusqu’alors, la baisse des coûts des réseaux télécoms et le développement des microprocesseurs avaient conduit à une décentralisation de l’informatique illustrée par les entreprises dominantes qui se sont succédé : IBM, Digital Equipment, Compaq, Dell.

Au début du XXIème siècle, Amazon a investi des sommes colossales pour édifier un système informatique susceptible d’accompagner sa croissance exponentielle. Les progrès en matière de télécommunications et de microprocesseurs lui ont permis de proposer aux entreprises tierces, parfois concurrentes, de partager la puissance informatique qu’il avait créé et de mutualiser ainsi les coûts de stockage informatique. Il a ainsi créé un nouveau marché.  Ce métier est devenu la « vache à lait » d’Amazon. Deux avantages pour ses clients : transformer un poste de coûts fixes en charges variables et étaler le paiement d’un investissement dans le temps en fonction de l’usage réel.

Les progrès en matière d’analyse de données et d’intelligence artificielle ont donné une nouvelle impulsion à ce modèle. Amazon avait montré la voie avec son système de recommandation de nouveaux produits basés sur le comportement de ses clients. Netflix, qui dispose également d’un système de recommandations performant, utilise aujourd’hui les données collectées pour décider du thème et du contenu de ses nouvelles productions.

Mais la technologie n’explique pas tout. Les besoins des clients ont changé. Ils ne souhaitent plus acheter un produit mais son usage. Les déboires liés à l’obsolescence programmée ou aux problèmes d’après-vente ont motivé ce changement d’état d’esprit. Les consommateurs sont également plus sensibles aux contraintes environnementales et souhaitent limiter le gaspillage dû aux mises au rebut prématurées.

Ce changement est visible dans notre vie de tous les jours. On loue sa voiture ou son vélo plutôt que de l’acheter. On peut même louer son matelas ! Mais les entreprises adhèrent également au concept, ainsi qu’en atteste le succès des hébergeurs sur le cloud. De même, les grands motoristes aéronautiques, Rolls Royce, Pratt & Whitney et General Electric, basculent aujourd’hui une partie de leurs chiffres d’affaires sur des contrats de maintenance de longue durée avec les compagnies d’aviation.

Pour le vendeur, les avantages du modèle de l’abonnement sont évidents. Les revenus sont récurrents. La relation commerciale avec la clientèle est améliorée. Le « churn » (taux d’érosion de la clientèle) peut être analysé pour être réduit.

Le contrat d’abonnement permet également de monétiser plus facilement les produits digitaux jusqu’alors financés par la publicité. Au contraire d’Amazon ou de Google, Netflix ne commercialise pas ses données à des tiers pour financer son activité.

Enfin, les entreprises valorisent plus facilement leurs actifs immatériels s’ils reposent sur des clients ayant signé des contrats d’abonnement de longue durée que sur des achats instantanés. Il est ainsi plus facile d’attirer des capitaux extérieurs pour financer le développement de l’entreprise.

Mais ce modèle n’est pas sans dangers.

Il est tout d’abord très fortement consommateur de cash. Le coût d’acquisition client n’est plus amorti en une fois mais sur plusieurs années. Ce n’est pas un problème pour de grandes entreprises américaines comme Netflix ou Dropbox qui peuvent faire appel aux capitaux privés. Pour les PME françaises, le financement de la croissance est un peu plus compliqué. Au début des années 2000, plusieurs entreprises se sont introduites en bourse avec des modèles reposant sur l’abonnement pour commercialiser du téléphone sur IP, de la gestion biométrique des accès, des sites internet ou de la sécurité informatique. Pour financer leur développement, elles ont été contraintes de financiariser les contrats d’abonnement. Aux premiers signes de ralentissement de leurs marchés, elles ont toutes déposé le bilan.

Le modèle économique de l’abonnement est également incertain.  Lorsqu’un SAP vend un logiciel, il sait que ses coûts commerciaux sont couverts lors de la vente de la licence. Les honoraires de maintenance sont un « plus ». Lorsque Salesforce vend un abonnement, ses coûts commerciaux ne seront remboursés qu’au bout de quelques mois ou de quelques années. Il vendra à perte si son client résilie rapidement son abonnement.

Or, les clients ne sont pas aussi fidèles que les entreprises le souhaiteraient. Netflix ou les sociétés de télécoms contiennent leur taux de résiliation à environ 1 % par mois. Mais ce sont des exceptions. Spotify serait à 5 %. Les entreprises de livraison de repas à domicile dépasseraient les 10 %.

Autre danger, les clients peuvent finir par se lasser d’un modèle qui cherche à les enfermer dans un mode de consommation.

Enfin, le régulateur pourrait intervenir pour faciliter la portabilité des données d’un client abonné à un service qui souhaite changer de système sans perdre son historique.

Selon une étude publiée aux Etats Unis, 118 millions de ménages disposeraient aujourd’hui de 200 millions de contrats d’abonnements. Pour que les valorisations des sociétés nouvellement cotées soient justifiées, il faudrait que le nombre de contrats atteigne 350 millions. Les marchés sont probablement trop optimistes. Le modèle de l’abonnement poursuivra son développement mais il trouvera rapidement ses limites.

Source : Maubourg patrimoine

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