«Le terroriste a toujours l’avantage de l’initiative sur les forces de l’ordre»

Le militaire à la retraite et chercheur Michel Goya dénonce les conditions de sécurisation des lieux publics, qui exposent inutilement les forces de l’ordre. « Les militaires de Sentinelle comme les policiers constituent des aimants aux attentats », dit-il.

Officier dans l’armée de terre, breveté de l’École de guerre et docteur en histoire, le colonel Michel Goya, aujourd’hui à la retraite, tient un blog consacré aux questions militaires : La voie de l’épée. Depuis un an, il fustige la permanence de l’état d’urgence et de l’opération Sentinelle (lire par exemple son billet ici). Pour Mediapart, il analyse les ressorts de l’attentat des Champs-Élysées.

Après les militaires attaqués au Louvre en février et à Orly en mars, c’est au tour des policiers assurant la protection de l’espace public d’être la cible d’un terroriste, quelle conclusion en tirez-vous ?
Michel Goya : Il est un peu tôt pour déterminer la motivation réelle de l’attaque d’hier [l’entretien a été réalisé vendredi en début d’après-midi]. D’ores et déjà, on constate toutefois que ces attaques visent directement des représentants des forces de l’ordre. Le tueur des Champs-Élysées était muni d’un fusil d’assaut, il aurait pu s’en prendre à n’importe qui, perpétrer une tuerie de masse. Il ne l’a pas fait. Il s’agissait de s’en prendre à ceux qui, pour lui, constituent des combattants. Cela s’inscrit sans doute dans un imaginaire de guerre : pour le terroriste, cela peut apparaître comme un objectif plus noble de mourir en combattant plutôt qu’en massacrant. À ses yeux, cela constitue une manière plus honorable de mourir.

Michel Goya © DR Michel Goya © DR

L’état d’urgence ou l’opération Sentinelle transforment-ils les forces de l’ordre en cibles ?
On notera d’abord que l’état d’urgence et l’opération Sentinelle n’ont en rien empêché l’attaque d’hier soir. Maintenant, force est de constater que les militaires de Sentinelle comme les policiers constituent des aimants, certains parlent de paratonnerres, aux attentats. Les terroristes peuvent choisir de s’en prendre à eux plutôt qu’à la population. En un sens, même s’il est très difficile d’empêcher une attaque déjà lancée, on peut penser que cela a une utilité. Les forces de l’ordre ainsi exposées dérivent sur elles une violence à laquelle elles sont formées et équipées pour répondre.

Maintenant, il faut aussi se poser la question de ce qui serait arrivé au Louvre si les militaires n’avaient pas été présents. Ou, hier soir, si le car de police n’avait pas été sur les Champs-Élysées. L’objectif premier n’était pas la population, car il était facile dans les deux cas de l’attaquer en évitant les militaires ou les policiers. Mais si ceux-ci n’avaient pas été là, les terroristes se seraient-ils déportés alors sur les foules sans défense ? L’attaque aurait-elle forcément eu lieu ? Ou alors, seconde hypothèse, l’assaillant aurait-il retardé son acte de quelques minutes ou quelques heures jusqu’à trouver une cible qui corresponde à ce qu’il cherche ? C’est-à-dire d’autres policiers ou militaires.

Vous doutez donc de ces mesures d’exception ?
Je pense surtout que ces mesures relèvent de la gesticulation et masquent l’absence d’une réelle stratégie et d’une réelle volonté d’agir. Il faut faire la distinction entre policiers et militaires. Cette opération Sentinelle affaiblit plus les armées qu’elle ne protège la population. Je m’explique : la seule fonction des soldats de Sentinelle consiste à nous protéger des attaques terroristes. Or, depuis 1995, aucune attaque terroriste réalisée n’a été empêchée par Vigipirate ou Sentinelle et on n’en connaît aucune qui aurait été dissuadée par cette opération (si c’était le cas, le ministère de la défense l’aurait immédiatement annoncé).

En revanche, cette opération offre effectivement des cibles à notre ennemi. Il y a eu quatre attaques contre des militaires de Sentinelle (à Nice en 2015, à Valence en 2016, au Louvre et à Orly en 2017). Nos soldats s’en sont très bien sortis à chaque fois, éliminant leur agresseur. Là, ce sera beaucoup plus difficile. L’argument de pot à miel qui attire l’adversaire ne résiste pas à un examen comptable : déployer depuis vingt ans plusieurs dizaines de milliers de soldats au total, dépenser 700 millions d’euros pour éliminer quatre adversaires. Ce n’est pas extraordinairement rentable comme opération militaire… On en aurait éliminé probablement beaucoup plus si l’on avait employé autrement ces ressources. Et ce n’est pas parce que des militaires ne font pas Sentinelle qu’ils ne sont pas attaqués. Rappelons que Mohamed Merah a tué trois soldats en dehors du service.

Et concernant les policiers ?
La sécurité de la population civile est l’affaire des forces de police et de gendarmerie. Cette mission dépasse celle de protection contre des attaques terroristes. Ils ont donc forcément besoin d’être présents, d’être visibles afin d’avoir, pour le coup, un effet dissuasif. Alors, comment concilier cet impératif avec leur propre sécurité ? D’un point de vue tactique, il faudrait combiner la nécessaire présence d’un dispositif policier avec une protection « invisible ». Mais on ne peut pas disposer un tireur d’élite caché sur les toits et des hommes en civil aux alentours pour sécuriser chaque car de police, chaque patrouille, chaque abord de commissariat. Cela serait trop lourd. Cela ne peut s’envisager que de manière exceptionnelle.

La propre protection des policiers destinés à effectuer des gardes statiques est donc insoluble ?
En tout cas, c’est difficile de prévenir, d’empêcher les attaques. Le terroriste a toujours l’avantage de l’initiative. La meilleure solution consiste à beaucoup plus entraîner les membres des forces de l’ordre aux tirs, à les habituer à déceler des actes hostiles, à réagir rapidement. Ce qui a été, semble-t-il, le cas des policiers des Champs-Élysées. Malgré tout, cela n’a pas empêché le bilan tragique que l’on connaît. Il faut dire que jusqu’à présent, ces agressions avaient eu lieu avec un armement rudimentaire, des armes blanches, couteau, hache, etc. Là, c’est la première fois depuis les attentats de janvier 2015 qu’une attaque visant des forces de l’ordre ou des militaires est réalisée avec un armement puissant, des fusils d’assaut. Les policiers et les soldats dans la rue sont comme le gardien de but d’une équipe de football : quand ils doivent agir contre des terroristes, c’est que tous les autres avant ont échoué (par erreur, manque de moyens, problèmes organisationnels), par exemple en empêchant l’introduction d’armes de guerre dans notre pays.

Source : Mediapart

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