Le réveil français

Introduction du Monde Diplomatique de Novembre par Serge Halimi

Jamais la France n’a connu semblables manifestations depuis quarante ans. La personnalité de M. Nicolas Sarkozy, son arrogance, son souci d’écraser l’« adversaire » ont permis que se rassemble contre lui un très large front. Mais la houle et les foules ne sont pas enfantées par les foucades d’un homme. Elles répondent à un choix de civilisation injuste opéré, au prétexte de la crise financière, par des gouvernements européens dont la palette partisane va de la droite décomplexée à la gauche qui capitule. En Italie, M. Silvio Berlusconi ne fait ni davantage ni pire que les socialistes Georges Papandréou en Grèce ou José Luis Zapatero en Espagne. Tous mettent en danger les services publics et la sécurité sociale. Tous, pour complaire à des agences de notation, prétendent faire payer aux salariés ce qu’a coûté au pays le saccage perpétré par les banques. Lesquelles continuent de se repaître, préservées de toute obligation de se montrer « courageuses » et solidaires des générations à venir.

Ce n’est pas « la rue » qui s’ébranle, c’est le peuple français qui remonte en scène. Aucune légitimité des gouvernants ne saurait être opposée à sa protestation. L’Assemblée nationale a été élue dans la foulée d’une campagne présidentielle au cours de laquelle M. Sarkozy a dissimulé ses intentions relatives à une réforme des pensions, présentée après coup comme le « marqueur » de son quinquennat. « Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer », proclamait-il quatre mois avant d’être élu. Un an plus tard, évoquant l’éventuel report de ce droit, le nouveau président de la République insista : « Je ne le ferai pas (…). Ce n’est pas un engagement que j’ai pris devant les Français. Je n’ai donc pas de mandat pour faire cela. Et ça compte, vous savez, pour moi. » Déjà gouvernés par un traité constitutionnel européen qu’ils ont rejeté massivement par référendum et que les élus de droite (épaulés par quelques socialistes) ont alors imposé par voie parlementaire, les Français manifestent également contre l’autoritarisme méprisant du pouvoir.

Les jeunes ont compris ce qui les attend. A mesure que le capitalisme enchaîne les crises, il durcit sa logique. Pour qu’il tienne, la société doit craquer davantage : évaluations permanentes, concurrence entre les salariés, fatigue au travail (lire « “Métro, boulot, tombeau” »). La dernière mouture du rapport Attali recommande désormais le gel du salaire des fonctionnaires jusqu’en 2013, le transfert sur les malades d’une partie de la charge financière des affections de longue durée (cancer, diabète), le relèvement du taux de la TVA ; le tout bien sûr en conservant le « bouclier fiscal ». « Nous avons devant nous dix ans de rigueur », a promis avec gourmandise l’ancien conseiller spécial de François Mitterrand, qu’à coup sûr la rigueur épargnera.

Le 7 octobre dernier, un manifestant lycéen expliqua le sens de son combat : « Au début, on a la formation : c’est l’école. Après on travaille : c’est le plus dur. Et après, la retraite : la récompense. Si on nous enlève la récompense, qu’est-ce qui nous reste ? » Les libéraux ironisent sur ces jeunes étrangement soucieux de leur retraite. Ils ne mesurent pas qu’une telle angoisse vaut réquisitoire des politiques qu’ils ont conduites depuis trente ans, et qui débouchent sur cet avenir sans espoir. Les cortèges et les grèves constituent le meilleur moyen d’inverser un tel destin.

2 réactions sur “ Le réveil français ”

  1. phdm

    Concernant les retraites, il y a un truc qui me dérange…
    Effectivement, notre président n’a pas tenu sa déclaration « Le droit à la retraite à 60 ans doit demeurer », déclaration répétée un an après être élu. Vu comme ça, je me dis que c’est répréhensible.
    D’un autre coté, c’est une décision qui a été très impopulaire…Les gens ne sautent pas de joie en apprenant qu’ils vont devoir bosser encore plus pour survivre.
    Une réforme qui pourrait être considérée comme un boulet, car je ne doute pas une seconde que tout au long des deux ans (ou presque) à venir l’opposition se fera fort de rappeler cet épisode, de dire et redire que cette réforme est injuste et que s’ils les français votent pour eux ils mettront de l’ordre à tout ça.
    Donc ok, le président est revenu sur ses déclaration pour se mettre une balle dans le pied (et je suis tout à fait d’avis que celui qui revient une fois sur sa parole, peut tout à fait revenir une autre fois sur un autre sujet)
    Ensuite, cette loi est elle vraiment juste, justifiée?
    Juste je ne saurais dire, étant donné la diversités des emplois, et leurs spécificités.
    Justifiée, j’aurais tendance à me laisser convaincre étant donné que tous les chefs d’état d’Europe ont déjà placé la retraite au delà de 60 ans.
    http://www.touteleurope.eu/fr/actions/social/emploi-protection-sociale/presentation/comparatif-l-age-de-la-retraite-dans-l-ue.html
    Je me dis aussi que c’est la fameuse « exception française » qui disparait encore un peu plus… et quelque part je le regrette. Dans l’idéal j’aurais préféré qu’on parte à 60 ans, qu’on ne se cale pas sur les autres.
    Mais bon, quand le système a été mis en place, plusieurs jeunes payaient les retraites d’un ancien.
    Désormais c’est l’inverse, un jeune paie les retraites de plusieurs anciens…
    En pesant le pour et le contre et ce que je connais sur cette affaire, je me suis rangé du coté de ceux qui pensent qu’il fallait faire quelque chose, et j’espère qu’au final la réforme mise en place nous sera à tous bénéfique.
    Et quelque part, je trouve que le président a eu du courage de se tirer une balle dans le pied alors qu’il était déjà devenu impopulaire, et j’ai trouvé très démago l’attitude de beaucoup d’opposants politiques. (j’aimerais sincèrement qu’un autre parti soit au pouvoir, pour voir l’attitude de l’UMP en une telle situation: ses réflexions et ses remarques. Quand la gauche gagnera en 2012 j’ai hâte de voir si l’UMP agira de façon aussi médiocre)

    Ensuite on va peut être me rétorquer: c’est un signe, il manque à sa parole, on ne peut pas lui faire confiance.
    Ce qui me frappe, c’est que d’un certain coté je me dis qu’il est donc moins inflexible que tout le monde s’accorde à lui reprocher.
    Il vient à peine d’abandonner l’idée du bouclier fiscal, revenant ainsi aussi sur sa parole…mais je suppose que l’opposition ici ne lui en voudra pas, d’autant plus que d’après ce que j’ai compris, il s’agit d’un tour de passe passe: magie: plus de bouclier ici, magie: une nouvelle taxe sur les revenus du patrimoine… Et je ne doute pas un instant que quelque soit la taxation annoncée, l’opposition trouvera qu’elle est insuffisante, injuste et qu’elle favorise les d’en haut au détriment des d’en bas.
    Enfin bref, doit on penser qu’il est une sorte de parjure (parjure n’était peut être pas le terme le plus approprié) ou qu’il s’adapte? Je pense pour ma part qu’il y a un peu des deux, l’affaire des retraites n’étant pas dans son intérêt, la suppression du bouclier fiscal étant dans son intérêt.

    J’ai fouiné un peu pour retrouver les 15 engagements de la campagne UMP
    1. « Mettre fin à l’impuissance publique »
    2. « Une démocratie irréprochable »
    3. « Vaincre le chômage »
    4. « Réhabiliter le travail »
    5. « Augmenter le pouvoir d’achat »
    6. « L’Europe doit protéger dans la mondialisation »
    7. « Répondre à l’urgence du développement durable »
    8. « Permettre à tous les Français d’être propriétaires de leur logement »
    9. « Transmettre les repères de l’autorité, du respect et du mérite »
    10. « Une école qui garantit la réussite de tous les élèves »
    11. « Mettre l’enseignement supérieur et la recherche au niveau des meilleurs mondiaux »
    12. « Sortir les quartiers difficiles de l’engrenage de la violence et de la relégation »
    13. « Maîtriser l’immigration »
    14. « De grandes politiques de solidarité, fraternelles et responsables »
    15. « Fiers d’être français

    Je me dis que ce serait amusant de voir aujourd’hui ces engagements annotés par le président lui même: beaucoup de lignes seraient raturées, tippexées (en cherchant l’orthographe de tippex, je suis tombé sur ces pubs interactives: http://www.youtube.com/profile?user=tippexperience&annotation_id=annotation_980821&feature=iv ) mais peu ou pas rayées.
    De toute façon, ces engagements électoraux n’étaient que des pistes de travail à mon sens. Le président aura beau se déclarer « déterminé », aller au bout de certains de ces engagements est du domaine de l’utopie.
    J’ai placé ceux de l’UMP parce que chacun peut se faire sa propre idée de ce qui a été fait ou pas, mais les engagements des autres partis étaient tout aussi utopiques à mon sens, avec des variations.

    (note pour tuxicoman: je trouve la case antispam un peu inutile et sujette à de grosses erreurs: si on valide sans l’avoir remplie: pouf, plus de texte, et il faut tout retaper…)

  2. Tuxicoman

    Pour l’antispam, c’est obligatoire, sinon j’ai 400 commentaires/jour sur les bienfaits de la pilule bleue. J’ai trouvé l’addition plus agréale que le test pour daltonien ivre classique.

    Sur le programme UMP, certains ont eu la même idée que toi et commencé la comparaison : http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sarkozy-observatoire-des-promesses-84572

    La bolivie est en train de voter l’arrêt du travail à 58 ans : http://www.legrandsoir.info/Retraites-finance-et-Bolivie.html

    Qu’il y ait un problème démographique c’est indéniable, mais 23% de chomage chez les jeunes alors qu’il était quasi inexistant il y a 40ans n’est il pas encore plus préoccupant? Dans ces conditions comment penser payer les retraites sur les seuls salaires de la population active? Le problème de cette loi est donc de n’avoir pas résolu le problème mais quand même réussi à ponctionner les travailleurs de manière non équitable (entre les générations et entre les classes sociales). De plus sachant que les jeunes n’auront pas de retraite du tout (vu que la loi sur les retraites est modifiée tout le temps (la dernièré étant la réforme fillon de 2003….)), les jeunes actifs vont placer leur argent dans des assurances/mutuelles/banques pour s’assurer de ne pas crever vieux le ventre vide. C’est justement les prévisions du groupe d’assuance MalakoffMederic, dirigé par le frère de Sarkosy, qui pronostique que son activité va passer 692 millions d’euros à 5,2 milliards d’euros en 2020 grâce à la réforme des retraites 2010….
    http://leuwen.perso.neuf.fr/mediapart.htm

    Excellente pub ! Voici mon prochain billet :-)

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