A Saint-Denis, la candidate LREM a agi en propriétaire voyou

par Michaël Hajdenberg de Mediapart:

En plein cœur de Saint-Denis, en face de la mairie et à deux pas de la basilique, l’immeuble menace de s’écrouler, au point qu’il a fallu l’évacuer d’urgence en janvier 2017. Véronique Avril, candidate de La République en marche (REM) dans la 2e circonscription de Seine-Saint-Denis, y a acheté un appartement en 2011, alors que l’immeuble insalubre était déjà classé depuis des années en état de péril imminent. Elle a loué son bien, ce qui est en soi illégal, à un prix exorbitant.

Censée incarner la moralisation de la vie publique chère au nouveau président, Véronique Avril se défend d’avoir agi comme une marchande de sommeil. Mais après les affaires Ferrand et Tourret, Emmanuel Macron donne encore l’impression d’avoir vendu du rêve, les explications de la candidate étant à dormir debout.

Véronique Avril a 50 ans. Elle fait partie de ces représentants de la société civile qui débarquent en politique à l’occasion des élections législatives. Par le passé, elle a travaillé à la Ville de Paris, au sein du cabinet Delanoë, qui avait fait de la lutte contre le logement insalubre une priorité. Aujourd’hui encore, elle travaille à la mairie de Paris, aux affaires sociales. Elle a aussi œuvré pendant des années à Médecins sans frontières, si bien que le Journal de Saint-Denis la présentait il y a 15 jours comme une « humanitaire en politique ».

Cette humanité revendiquée est mise à mal par ses investissements au cœur même de la circonscription dans laquelle elle vit (Saint-Denis) et où elle se présente. En 2011, elle achète avec son frère, via une SCI, un appartement de 23 m2 dans l’immeuble du 15, place Victor-Hugo, pour 70 000 euros.

Si l’emplacement est idéal, l’immeuble est insalubre. Il a fait l’objet d’un premier arrêté de péril en 2004, et d’un autre en 2008.

L’arrêté de péril imminent de 2008Tout acheteur en est informé. Et Véronique Avril ne le nie pas. Mais elle explique qu’à la mairie, on lui a assuré que des travaux dans l’immeuble étaient en train d’être réalisés et que l’arrêté serait bientôt levé. Après 20 000 euros de travaux qui rendent son propre appartement digne, elle loue donc son bien à une première famille, puis à une deuxième à partir du 1er décembre 2012.

Sauf que l’arrêté n’a pas été levé. Et qu’en vertu de l’article L 521-2 du code de la construction et de l’habitation, les locataires n’ont pas à payer de loyer. Elle loue donc en toute illégalité un appartement à une famille de cinq personnes, en situation de surpopulation. Celle-ci s’acquitte chaque mois d’un règlement de 650 euros (charges comprises), soit 28 euros/m2. Très au-dessus des tarifs pratiqués dans la ville, qui se situent souvent entre 14 et 18 euros/m2.

Le montant paraît d’autant plus difficile à justifier au vu de l’état de l’immeuble, décrit le 9 janvier 2017 par le Journal de Saint-Denis : « Une version contemporaine des Misérables avec ses cages d’escalier sordides, ses murs lézardés, ses risques d’effondrement, ses boiseries pourries et sa cohorte de rats. » Y vivent beaucoup de sans-papiers, qui ont dû se résoudre à louer à prix d’or quelques mètres carrés indignes à des propriétaires véreux.

Photos publiées dans le « Journal de Saint-Denis ». La structure, qui menace de s'écrouler, est soutenue par des poutres de toutes sortes, en bois ou métalliques. © JSD

Photos publiées dans le « Journal de Saint-Denis ». La structure, qui menace de s’écrouler, est soutenue par des poutres de toutes sortes, en bois ou métalliques. © JSD © JSD © JSDQuelle idée a donc pu passer par la tête de Véronique Avril, qui connaît bien la ville de Saint-Denis puisqu’elle y habite et passe nécessairement régulièrement devant l’immeuble ? La candidate se défend d’avoir voulu faire fortune en profitant de la misère du monde. « L’emplacement était bon. On s’est dit : on emprunte, on refait à neuf, et on loue. Le logement allait prendre de la valeur. » La candidate le redit : « La mairie nous avait dit qu’elle procédait aux travaux. »

Véronique Avril ne se souvient cependant plus du nom de la personne qui lui aurait dit ça par téléphone. Et la Ville de Saint-Denis nie avoir pu tenir de tels propos. « Ça n’a pas de sens. Ça ne se passe jamais de la sorte. » Véronique Avril maintient : « La ville avait intérêt à avoir des gens solvables comme nous qui toucheraient des loyers et payeraient les charges pour financer les travaux. Si la mairie nous avait dit qu’en aucun cas nous n’aurions le droit de louer car le péril ne serait pas levé, nous n’aurions tout simplement pas acheté l’appartement. »

À l’époque, Véronique Avril aurait donc loué sans avoir pris la peine de vérifier que l’arrêté avait été levé. Quant au tarif, exorbitant, elle dit qu’elle s’est fiée à ce que lui a dit l’agence immobilière Setgi, qui était installée dans l’immeuble. « Le prix était sûrement trop haut, je le reconnais. Je leur ai fait confiance. Je me suis laissé embobiner. »

Véronique Avril aurait donc fait un investissement locatif et pris un emprunt sans même se renseigner sur les loyers en cours dans le secteur. Elle trouve « insupportable » qu’on remette en cause sa bonne foi.

La visite d’un huissier

Toujours est-il qu’en 2012, elle se montre très satisfaite de son investissement (« ça marchait bien ») et s’intéresse donc à un deuxième appartement à vendre dans l’immeuble. « Et c’est au moment où la vente allait se faire que le notaire m’a alertée : l’immeuble était toujours sous le coup de l’arrêté de péril. Nous n’aurions pas le droit de louer. » Véronique Avril explique que c’est à ce moment-là qu’elle a réalisé : « On a fait quelque chose d’illégal, mais en toute bonne foi. On a d’ailleurs renoncé à acheter le deuxième appartement. »

La préfecture a pris en novembre un arrêté de péril d'insalubrité globale irrémédiable. D'où l'évacuation. © JSD

La préfecture a pris en novembre un arrêté de péril d’insalubrité globale irrémédiable. D’où l’évacuation. © JSD

Une réunion est alors organisée à la mairie, à laquelle participe Cristina Damian, à l’époque propriétaire occupante et présidente du conseil syndical : « Madame Avril voulait faire lever l’arrêté pour pouvoir louer son bien. Mais c’était complètement irresponsable de faire passer ses gains avant la sécurité des personnes. Il y avait des fissures, des risques d’écroulement, de feu. C’était dangereux ! »

Là encore, Véronique Avril conteste : « Grâce à de premiers travaux sur un pilier, il n’y avait plus de péril imminent. Il fallait donc encaisser des loyers et des charges pour faire les travaux complémentaires. » Aucun document ne va cependant dans le sens de cette version d’un péril imminent écarté.

Cristina Damian assure par ailleurs avoir alerté Véronique Avril des dégâts dans l’appartement : « Il y avait de l’eau qui coulait dans l’appartement à cause d’un tuyau percé, des fenêtres qui ne fermaient plus à cause de l’humidité. L’hiver c’était terrible, inhumain. Je lui ai dit de passer voir. Elle n’est jamais venue. »

La candidate reconnaît avoir été alertée, mais évacue : « J’en ai informé le gestionnaire immobilier, lui demandant de voir ce qu’il en était. Il m’a dit que cela ne venait pas de l’appartement mais du fait que le locataire n’aérait jamais et qu’il voyait avec le syndic pour les fuites. Il ne m’en a plus jamais reparlé après, le locataire non plus. »

Dans un courrier d’avril 2013, la mère de famille qui vit dans l’appartement écrit cependant au responsable de l’agence immobilière Setgi : « Je vis avec ma famille dans un 2 pièces vraiment humide et insalubre, avec des rats dans la cour, et dans les escaliers, qui font peur à mes enfants de trois ans, ainsi qu’à leur mère. En plus de ça, il n’y a ni électricité ni rien du tout. Je vous demande de faire des travaux. »

Il n’y en aura pas. Mais la candidate de La République en marche se dit elle-même « victime ». Elle explique que depuis trois ans, elle vit un « cauchemar », « un trou noir » : « Nous avons fait un emprunt et ne touchons plus de loyer pour le rembourser. Nous avons donc été obligés de revendre un autre appartement à Paris. La famille locataire ne voulait pas partir. Ils ont été violents, ont changé la serrure. Je m’estime victime. Ils ont même fait des démarches pour se faire rembourser les loyers qu’ils estimaient avoir injustement payés. »

Les locataires n’obtiendront rien sur ce point. Au contraire. Un beau matin de juillet 2013, ils reçoivent la visite d’un huissier qui leur réclame les loyers illégaux impayés, avec menace de « saisie conservatoire ».

Une nouvelle fois, Véronique Avril plaide l’ignorance : « C’est l’agence immobilière qui a dû faire la démarche sans nous consulter. Je n’ai jamais rien fait de la sorte. Je ne peux pas vous le garantir à 100 %, c’était il y a longtemps. Mais je n’en ai aucun souvenir. » En mai 2014, des relances sont encore faites auprès de la famille, pour qu’elle règle 8 758 euros de « retard ».

Réclamer des loyers indus car illégaux sans que l’agence en réfère au propriétaire ? « Possible dans l’absolu », répond la chambre des huissiers. « Dans le mandat, l’agence immobilière avait la charge du recouvrement », explique Véronique Avril, qui n’a cependant pas retrouvé le mandat en question.

Véronique Avril plaide la bonne foi © JSD (Journal de Saint-Denis)

Véronique Avril plaide la bonne foi © JSD (Journal de Saint-Denis) Pour notre part, nous n’avons pas réussi à entrer en contact avec l’agent immobilier en question, lourdement accusé par Véronique Avril, et dont l’agence a fermé. Quant à l’huissier mobilisé, il n’a pas répondu à nos appels.L’immeuble a fini par être évacué, et la famille est actuellement logée dans un hôtel social. Quant à Véronique Avril, elle attend fébrilement l’offre que lui fera la mairie de Saint-Denis pour lui racheter son bien, anticipant « une moins-value ».

Si Stéphane Peu, le candidat de La France insoumise dans la circonscription, n’a pas souhaité commenter la situation que nous lui avons exposée, Mathieu Hanotin, député sortant, n’y va pas par quatre chemins : « Quand on loue un bien insalubre au double du prix et de façon illégale, c’est un comportement digne d’un marchand de sommeil. »

Véronique Avril affirme qu’elle savait que cette histoire pouvait être utilisée dans sa campagne. Elle dit : « Je m’y attendais. Si cela doit me nuire, ainsi qu’à mes proches et à En Marche!, je ferai ce qu’il faut. »

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