Les 24 contrats des filles de Bruno Le Roux à l’Assemblée

En pleine « affaire Penelope », Bruno Le Roux ne lésinait pas sur les critiques à l’égard des épouses de députés salariées comme assistantes. « Ca ne devrait pas être autorisé », grondait le ministre de l’intérieur. Il se gardait bien, ce jour-là, d’évoquer la vingtaine de contrats qu’il a lui-même accordés à ses deux filles lorsqu’il était député, à l’occasion de leurs vacances de lycéennes puis d’étudiantes, dès l’âge de 16 ans pour l’une, et même 15 ans pour l’autre, comme le révèle ce lundi 20 mars une enquête de Quotidien, l’émission de Yann Barthès diffusée sur TMC.

D’après les informations recueillies par la journaliste Valentine Oberti, les deux femmes âgées aujourd’hui de 20 ans et 23 ans ont respectivement signé 10 et 14 contrats à durée déterminée (CDD) avec leur père entre 2009 et 2016, d’abord quand il était « simple » député de Seine-Saint-Denis, puis patron du groupe PS à l’Assemblée nationale (jusqu’à sa nomination place Beauvau). Elles auraient ainsi engrangé 55 000 euros d’argent public à elles deux, dont une partie versée alors qu’elles appartenaient au même foyer fiscal que leur père, peut-on supposer.

© QuotidienSi tous les députés ont rempli une déclaration d’intérêts en 2014 révélant pour la première fois l’identité de leurs collaborateurs, Bruno Le Roux n’y a pas mentionné les « jobs » accordés à ses filles, sans doute parce qu’il s’agissait de CDD. Bien pratique pour ne pas éventer le secret.

de-cla

Prudente, l’enquête de Quotidien se garde bien de dénoncer des emplois fictifs, mais deux « détails » viennent jeter le trouble sur l’intensité avec laquelle les jeunes filles ont parfois rempli leurs tâches d’assistantes. D’abord, entre le 10 juin et le 9 septembre 2013, alors qu’elle était inscrite en école de commerce, l’aînée s’est retrouvée à la fois sous contrat à l’Assemblée et en stage à plein temps chez Yves Rocher. A Paris, près du Palais-Bourbon ? Non, en Belgique.

Ensuite, à Pâques 2015, la benjamine a bénéficié d’un contrat qui a débordé au-delà des vacances scolaires. Durant deux semaines, elle aurait donc travaillé tout en suivant ses cours de « classe prépa », formation pourtant particulièrement intensive.

Interrogé à plusieurs reprises par Quotidien, le ministre de l’Intérieur a confirmé l’existence de tous ces contrats. « Elles ont travaillé », assure-t-il, essayant de relativiser cette affaire : « Pas d’amalgame [avec l’affaire Fillon]. (…) On parle d’un boulot d’été auprès d’un parlementaire. Et quand il faut faire du classement, quand il faut faire un certain nombre de tâches parlementaires, je trouve que c’est une bonne école de faire ça. » Relancé sur le fait que ses filles étaient au départ mineures, le ministre lâche :« Moi j’ai commencé à travailler en usine, j’avais 15 ans et demi ! »

Sur ce point, Quotidien rappelle que l’âge minimum légal pour travailler en France est désormais fixé à 16 ans. Et si Bruno Le Roux a pu recruter sa fille, ce serait uniquement par exception, parce qu’il s’agit de son enfant.

Interrogé sur « l’épisode belge », le cabinet du ministre tient également à ajouter : « Chaque contrat faisait l’objet de missions qui ont été honorées (…), puisque ces missions ont pu être effectuées en horaires renforcés avant et après le stage, et en travail à distance durant le stage (travail de rédaction, mise à jour de fichiers, recherches, etc) et durant plusieurs jours supplémentaires à l’automne. » Sollicité lundi soir par Mediapart pour une réaction, l’entourage de Bruno Le Roux n’a pas retourné notre appel à ce stade.

Pour mémoire, la proportion de députés français employant un membre de leur famille s’élève à 20% environ, une statistique qui n’a guère diminué entre 2014 (date à laquelle Mediapart a dévoilé un premier chiffrage) et février 2017 (date du dernier recensement réalisé par Le Monde). Et encore, ces données ne tiennent justement pas compte des « jobs d’été », non déclarés.

Depuis « l’affaire Fillon », trois des principaux candidats à l’élection présidentielle (Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Benoit Hamon) ont promis l’interdiction des emplois familiaux à l’Assemblée comme au Sénat, sur le modèle du Parlement européen. Mais François Fillon, lui, s’y refuse toujours, se contentant d’envisager une « publication des liens de parenté entre les parlementaires et les collaborateurs, y compris en cas de recrutements croisés ».

Interrogé début mars sur « l’affaire Penelope », son ex-directeur de campagne avait pourtant offert un rare moment de sincérité aux Français, en évoquant « un système qui a été mis en place depuis des années au parlement et qui consiste à rémunérer -ou à accorder des compléments de rémunération aux parlementaires- à travers le système des collaborateurs. » On ne l’a plus entendu depuis.

Source: Mediapart

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.