Le jeu de grind

Voici la courbe d’expérience de Black Desert Online, un MMO coréen :

black desert XP

Le plaisir dans ce genre de jeu vient du sentiment de progression. Vous commencez moins que rien et finissez parmi les puissants de ce monde.

Si la courbe de progression était linéaire et s’arrêtait net au dernier niveau atteint, les joueurs arrêteraient de jouer au jeu à peine le niveau maximum. En effet, sans objectif, pourquoi jouer? C’est ce qu’il se passe quand on finit la plupart des jeux solo comme Mad Max (Excellent au passage).

Cet effet est intéressant puisqu’il montre que la valeur absolue de puissance n’est pas le critère essentiel du plaisir de jeu. Par extension on peut donc penser que démarrer puissant est moins plaisant que démarrer moins que rien si tant est qu’il y ait une progression d’un état vers l’autre.

Ce sentiment de progression est ce qui fait le sel de ce genre qu’on appelle jeu de « grind », qui veut dire littéralement « grimper » en anglais. Des exemples de jeu de « grind » sont Diablo, World of Warcraft, Final fantasy, etc…

On pourrait penser qu’il suffirait donc de créer une progression qui s’étende jusqu’à l’infini pour garder le joueur hypnotisé par le jeu.

C’est par exemple un peu ce qui se passe avec l’argent. On est satisfait d’amasser de la valeur jusqu’à en oublier son utilité pour être obnubilé par la seule sensation d’en avoir toujours plus.

Les jeux vidéos obtiennent le même résultat. Des joueurs passent des centaines d’heures à progresser pour avoir un avatar toujours plus puissant.

Il y a cependant un hic qui brise le cycle infernal. Est-ce la répétitivité qui ennuie ? Il y a-t-il également un besoin de nouveauté ? de renouvellement ?

Faire grimper éternellement des chiffres sur un écran ne suffit pas. A un moment donné, le joueur va se réveiller, regarder derrière lui et un sentiment de vide immense va apparaître. Était-ce raisonnable de consacrer autant de temps d’une vie à cela ? Y ai-je trouvé du plaisir ? Est ce que continuer m’en procure encore ?

Et si finalement, à travers la progression, ce n’était pas le changement, la nouveauté, le renouvellement qui procurait du plaisir ?

Pour captiver le joueur sur le long terme, le jeu doit alors continuellement apporter de la nouveauté. Cela passe le plus souvent par du nouveau contenu (monstres, mondes, modes, etc…) mais celui-ci est limité par son coût et temps de développement.

Afin ne pas briser le cercle infernal d’hypnotisation alors que la génération de nouveau contenu a du mal à suivre le rythme, le truc « pas cher qui marche » est de faire patienter les joueurs en utilisant une échelle sans fin. Vous voyez le bout de l’échelle, vous avancez vers le bout de l’échelle, vous désirez atteindre le bout de l’échelle. Mais plus vous vous en approchez et plus progressez lentement. La formule de progression est souvent calculée pour que vous ne puissiez atteindre le dernier barreau de l’échelle au cours de votre vie (désolé pour les no-life, ca ne suffit pas). Ainsi vous avez toujours un objectif devant vous et vous restez motivé.

C’est con mais ca marche. A différent degrés suivant les personnes. Certaines y accrochent à fond (no-life), d’autres décrochent plus vite.

Une autre solution à la génération de nouveauté est de recommencer le jeu depuis zéro avec un personnage ayant d’autres mécaniques de jeu. On appelle cela le reroll (littéralement, « relancer les dés » en anglais) On ne redécouvre pas l’univers du jeu, mais la progression retrouve un rythme rapide et les nouvelles mécaniques apportent le soupçon de nouveauté parfois suffisant.

Remarque : Le graphique ne dit pas tout car il se peut que le montant d’expérience gagné par heure augmente avec le niveau du joueur. Néanmoins l’idée est là. Le bon graphique aurait été le temps passé par niveau mais c’est difficile d’avoir cette donnée (dépend fortement du rythme du joueur)

grind

Pourquoi cet article ? Et bien parce que je trouve ce genre d’expérience particulièrement enrichissante sur le fonctionnement du psychisme humain et sur les sources de bonheur. On est persuadés par la publicité que la possession de tel ou tel objet est une condition quasi-suffisante et quasi-nécessaire à l’accession au bonheur. Pourtant, une expérience vidéo-ludique de quelques heures/jours vous permet de faire l’expérience qu’il n’en est rien. La valeur d’un objet dans ce genre de jeu est corrélée à sa difficulté d’obtention plus qu’à son utilité réelle. Dans un jeu ce sera une couleur de chemise, dans un autre un changement infinitésimal d’un attribut de performance. De la même manière que le milieu qui vous entoure décide de ce qui a de la valeur ou pas : Ce qui a une grande valeur dans un jeu (un cheval par exemple) peut être anecdotique dans un autre (tout le monde a un cheval au bout de 5h de jeu mais il faut 150h pour avoir une chemise rouge!). C’est assez déroutant. In fine, le plaisir obtenu dans les jeux de « grind » tire principalement sa source dans le sentiment de progression, dans la découverte continue de nouveautés et la réalisation de challenges personnels. A méditer….

2 réactions sur “ Le jeu de grind ”

  1. Chassegnouf

    J’ai l’impression que ce qui fait courir le joueur, c’est le fait qu’il y ait un sens à progresser. On pourrait faire un système de leveling à l’infini, créer des aventures de manière procédurales pour apporter une cassure, de l’aléatoire, de la nouveauté mais au bout du compte, il y aurait quand même un moment où le joueur comparerait l’IRL (ou un autre jeu) avec la pratique d’un tel jeu et ce qui provoquerait la rupture serait la prise de conscience qu’il n’y a plus de sens (et que pratiquer ce jeu s’apparenterait à devenir un Shadok). Comment pourrait-on définir ce sens ? Un accomplissement ? La conscience de sa propre position (ratio chemin parcouru/chemin restant à parcourir) dans une quête ? Pour tenir un individu sur cette voie, il faut qu’il puisse connaitre le but de cette quête, qu’il soit fini, sinon le ratio pré-cité reste toujours infinitésimal et il décroche. Dans la vraie vie, il y a des paliatifs à ça, c’est la transmission (à la société, aux générations suivantes) qui font qu’on peut entasser du pognon sans problème tout en sachant qu’on n’en profitera jamais soi-même, pour le bienfait de sa descendance. Dans le même genre de quête infinie IRL, c’est la recherche scientifique, l’exploration sans fin de l’inconnu infini, ce qui empêche les chercheurs (comme moi) de baisser les bras, c’est la quasi-certitude que ce qui est fait n’est plus à faire, que ce qui a été trouvé est transmis au reste d’une monde (ou une partie).

    Il faudrait voir ce que donnent des jeux vidéos qui permettent une certaine transmission, comment ils transmettent et ce qu’ils transmettent une fois que le joueur arrête de jouer. La pratique professionnelle des jeux vidéos rejoint ce système puisque la quête ludique est convertie en pognon, il y a transmission du jeu vers l’IRL d’un bien utilisable (et transmissible). Qu’est-ce qu’on pourrait transmettre d’autre ? Du jeu vers l’IRL, la gloire ? Je pense aux « sports » électroniques qui produisent des joueurs qui ont leur petite gloire dans leur niche. Ca peut prendre de l’ampleur d’une certaine manière avec un jeu massivement joué. Mais je pense qu’il y aurait une faible rémanence. Puis il y a un découplage entre le jeu lui-même et l’IRL. On le voit avec la gloire de stars du milieu du spectacle qui n’a pas forcément quelque chose à voir avec un véritable talent ou compétence. Je pense plutôt à une transmission au sein du même jeu avec un impact tangible dans le jeu. Si les actions et les créations d’un personnage ont une certaine rémanence dans le jeu, ça peut donner des trucs sympas, donner un sens au jeu. Ca me fait penser à un jeu de rôle papier, Vampire la Mascarade, où les personnages sont immortels ou en sommeil, accumulant toujours plus de pouvoir petit à petit et souhaitant survivre (aux autres personnages) et conserver leurs acquis le plus longtemps possible. Plus les personnages sont anciens et plus ils sont prudents (parce qu’ils ont beaucoup plus à perdre que de jeunes personnages) malgré leur puissance. Pour se protéger, ils ont des alliés, leur propre descendance à qui ils donnent une portion de leurs pouvoirs avec parfois certaines exclusivités (certains pouvoirs spécifiques impossible à acquérir autrement que par la transmission). Etc, etc. Une courbe de progression illimité ne prendrait du sens qu’en échange de la possibilité d’une mort ultime et de transmettre une partie de ses acquis. Maintenant que j’en parle, je serais curieux de voir ce que donnerait un Vampire MMO ^^

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